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femme, au lieu que l'on vous voit sans cesse entre la femme et le galant, où vous faites cent gentillesses et
cent folies, pendant que le mari se promène un peu loin de là, entre le Chagrin et la Jalousie qui le
tourmentent cruellement, et qui de temps en temps ouvrent et ferment les rideaux de son carrosse. Sa Jalousie
les ouvre incessamment pour lui faire voir ce qui se passe, et le Chagrin les referme aussitôt pour l'empêcher
de rien voir qui lui déplaise.
L'amour
Il me semble, ma soeur, que toute sage que vous êtes, vous ne vous acquittez pas mieux que moi de
votre devoir, et qu'on ne vous rencontre guère souvent où vous devriez être toujours, je veux dire entre les
frères et les soeurs et entre les parents les plus proches qui, faute de vous avoir au milieu d'eux, se déchirent
les uns les autres et se haïssent mortellement.
L'amitié
J'en ai bien du regret, mais je n'y saurais que faire : ils sont la plupart tellement attachés à l'Intérêt, mon
ennemi caché et avec lequel j'ai une horrible antipathie ; car vous savez qu'il veut tout avoir à lui, et qu'au
contraire je fais profession de n'avoir rien à moi ; ils sont, dis-je, tellement attachés à ce lâche Intérêt qu'ils
m'abandonnent volontiers plutôt que lui. D'ailleurs, comme ils tirent chacun leur côté, ils rompent tous mes
liens et m'échappent sans cesse.
L'amour
Je vous pardonnerais d'abandonner des parents intéressés et déraisonnables, si c'était pour vous trouver
avec des étrangers sages et vertueux ; mais il est certain que le plus souvent ce n'est que la débauche et le
vice qui vous attirent et qui vous font demeurer où vous êtes, et que deux hommes ne seront bons amis que
parce que ce sont deux bons ivrognes, deux francs voleurs, ou deux vrais impies.
L'amitié
Je ne me suis jamais rencontrée avec ces gens-là ; j'avoue qu'il y a entre eux une certaine affection
brutale et emportée qui me ressemble en quelque chose, et qui affecte fort de m'imiter. Il est encore véritable
qu'elle fait en apparence les mêmes actions que moi ; je dis ces actions éclatantes qui étonnent toute la terre,
mais ce n'est point par le principe de générosité qui m'anime, et l'on peut dire qu'elle les fait de la même
Dialogue de l'Amour et de l'Amitié 87
Contes
manière que la magie fait les miracles. Les sages qui connaissent les choses n'ignorent pas la différence qui
est entre elle et moi, et ils ont toujours bien su que je ne me rencontre jamais qu'avec la Vertu, et au milieu
des vertueux.
L'amour
S'il en est ainsi, ma soeur, on ne vous trouve pas aisément, et votre demeure est bien difficile à trouver.
L'amitié
Elle l'est assurément plus que la vôtre, puisque je ne me plais qu'avec les sages qui sont fort rares, et que
vous au contraire ne vous plaisez qu'avec les fous, dont le nombre est presque infini et dont vous aimez tant
la compagnie que si les personnes qui vous reçoivent ne le sont pas encore tout à fait, vous ne tardez guère à
les achever.
L'amour
Je sais bien, ma soeur, qu'il y a longtemps qu'on me reproche de ne pouvoir vivre avec la raison, et qu'on
m'accuse de la chasser de tous les coeurs dont je me rends le maître ; mais je puis dire que fort souvent nous
nous accordons bien ensemble et que si quelquefois je me vois obligé à lui faire quelque violence, il y a de sa
faute bien plus que de la mienne.
L'amitié
N'est-ce point que la Raison a tort, que vous êtes bien plus raisonnable que la Raison même ?
L'amour
Je ne voudrais pas vous l'assurer ; mais je sais bien que si elle voulait ne se point mêler de mes affaires,
comme je ne me mêle point des siennes, nous vivrions fort bien ensemble. Je n'empêche point qu'elle ne
conduise les hommes dans les affaires importantes de leur vie ; je veux bien qu'elle les rende grands
politiques, bons capitaines et sages magistrats ; mais je ne puis souffrir qu'elle s'ingère de contrôler mes
divertissements et mes plaisirs, ni moins encore de régler la dépense des fêtes, des bals et de toutes les
galanteries des amants. N'a-t-elle pas assez d'autres choses plus sérieuses pour s'occuper, et pourquoi faut-il
qu'elle s'amuse à mille bagatelles dont elle n'a que faire ? Que voulez-vous que je vous dise, c'est une
superbe et une vaine qui veut régner partout, qui critique tout, et qui ne trouve rien de bien fait que ce qu'elle
fait elle-même ; je la repousse à la vérité d'une terrible force quand je ne suis pas en humeur d'en souffrir, et
fort souvent nous nous donnons des combats effroyables. Mais pour vous montrer que j'en use mieux qu'elle
en toutes choses ; quand elle est la plus forte et qu'elle a avantage sur moi, elle ne me donne point de
quartier, elle me chasse honteusement et publie en tous lieux la victoire qu'elle a remportée. Pour moi, quand
je demeure le vainqueur, ce qui arrive assez souvent, je me contente de me rendre le maître de la place ; et
pourvu que le coeur m'obéisse, je lui laisse disposer à sa fantaisie tous les dehors ; je ne me vante point de
l'avoir battue, et comme elle est glorieuse, elle ne s'en vante pas aussi, elle fait bonne mine et paraît toujours
la maîtresse.
L'amitié
On remarque en effet que tous les amants, quelque fous qu'ils soient, veulent paraître sages, et qu'on n'en
voit point qui ne prétendent être fort raisonnables ; mais de toutes leurs extravagances, je n'en trouve point
de plus plaisante que celle qui leur est commune à tous, je veux dire la forte persuasion qu'ils ont que la
personne qu'ils aiment est la plus belle et la plus accomplie de toutes celles qui sont au monde ; je me suis
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Contes
cent fois étonné de cette extravagance.
L'amour
Est-il bien possible, ma soeur, que vous n'en sachiez pas la cause, et que vous n'ayez pas encore
remarqué que les amants ne jugent ainsi favorablement de la beauté qu'ils aiment que parce qu'ils ne la voient
jamais qu'à la lueur de mon flambeau qui a la vertu d'embellir tout ce qu'il éclaire : c'est un secret qui est fort [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]
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